Jacques le Fataliste et son maître
DIDEROT, Jacques le Fataliste et son maître. Chronologie; présentation, notes, dossier, bibliographie et lexique par Barbara K.-Toumarkine. Paris: GF Flammarion, 1997.
"Jacques demanda à son maître s'il n'avait pas remarqué que, quelle que fût la misère des petites gens, n'ayant pas de pain pour eux, ils avaient tous des chiens; s'il n'avait pas remarqué que ces chiens, étant tous instruits à faire des tours, à marcher à deux pattes, à danser, à rapporter, à sauter pour le roi, pour la reine, à faire le mort, cette éducation les avait rendus les plus malheureuses bêtes du monde. D'où il conclut que tout homme voulait commander à un autre; et que l'animal se trouvant dans la société immédiatement au-dessous de la classe des derniers citoyens commandés par toutes les autres classes, ils prenaient un animal pour commander aussi à quelqu'un. «Eh bien! dit Jacques, chacun a son chien. Le ministre est le chien du roi, le premier commis est le chien du ministre, la femme est le chien du mari, ou le mari le chien de la femme; Favori est le chien de celle-ci, et Thibaud est le chien de l'homme du coin. Lorsque mon maître me fait parler quand je voudrais me taire, ce qui, à la vérité, m'arrive rarement, continua Jacques; lorsqu'il me fait taire quand je voudrais parler, ce qui est très difficile; lorsqu'il me demande l'histoire de mes amours, et que j'aimerais mieux causer d'autre chose; lorsque j'ai commencé l'histoire de mes amours, et qu'il l'interrompt: que suis-je autre chose que son chien? Les hommes faibles sont les chiens des hommes fermes.
LE MAÎTRE - Mais, Jacques, cet attachement pour les animaux, je ne le remarque pas seulement dans les petites gens, je connais de grandes dames entourées d'une meute de chiens, sans compter les chats, les perroquets, les oiseaux.
JACQUES - C'est leur satire et celle de ce qui les entoure. Elles n'aiment personne; personne ne les aime: et elles jettent aux chiens un sentiment dont elles ne savent que faire.
LE MARQUIS DES ARCIS - Aimer les animaux ou jeter son coeur aux chiens, cela est singulièrement vu." [pp.200-201]
"«N'est-ce pas le diable! Du matin au soir ils disent du mal de la vie, et ils ne peuvent se résoudre à la quitter! Serait-ce que la vie présente n'est pas, à tout prendre, une si mauvaise chose, ou qu'ils en craignent une pire à venir?" [pp.218-219]
"JACQUES - (...) Mon maître, on passe les trois quarts de sa vie à vouloir, sans faire.
LE MAÎTRE - Il est vrai.
JACQUES - Et à faire sans vouloir." [p.283]
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